Extrait du Psautier de l'AELF, aux éditions CERF, « Une prière chrétienne, » qui explique la place des psaumes dans la tradition biblique et chrétienne, leur interprétation à la lumière du Christ et leur usage dans la prière personnelle et liturgique.

Les psaumes : une prière chrétienne

Les psaumes dans la tradition biblique

De tous les écrits de l’Ancien Testament auxquels se réfère le Nouveau, le livre des Psaumes est le plus souvent cité. Appelé en hébreu « livre des louanges », ce recueil de poèmes et de chants contient les prières traditionnelles du peuple d’Israël. Ces hymnes, nous les appelons psaumes, d’après le terme grec qui servit à les désigner. Elles étaient régulièrement utilisées, au temps de Jésus, durant les pèlerinages à Jérusalem, les liturgies du Temple, les assemblées synagogales du Sabbat, et dans la dévotion privée. Parmi les Écritures sacrées des Juifs, le livre des psaumes fut le plus connu et le plus aimé. En le citant, on se référait d’abord à David (Ac 2, 25-34 ; Mt 22, 43), le Roi-prophète, considéré comme le fondateur du genre.

Lorsque les auteurs du Nouveau Testament citent les Psaumes, c’est toujours pour montrer comment Jésus de Nazareth a assumé, renouvelé et accompli ce qu’ils annonçaient. Le premier discours de Pierre, le jour de la Pentecôte (Ac 2, 25-28), s’appuie sur le psaume 15 (16) et sur le psaume 109 (110) pour prêcher la résurrection et l’exaltation de Jésus mort et enseveli. Les Évangiles nous montrent souvent Jésus utilisant des passages connus de psaumes pour éclairer et autoriser sa mission messianique (Mc 12, 35-37 ; Mt 21, 42). C’est avec des paroles psalmiques que l’on entend Jésus prier sur la croix (Mc 15, 34 ; Lc 23, 46 ; Jn 19, 29) ou que sont interprétés divers événements de la Passion (Jn 13, 18 ; Jn 19, 24 ; 19, 36). Après sa résurrection, Jésus dit aux onze assemblés, selon Lc 24, 44 : « C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous ; il fallait que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures. » L’esprit ainsi ouvert à l’intelligence des psaumes, les disciples du Christ n’ont jamais cessé d’y lire l’annonce et la réalisation de ses mystères, d’y entendre sa voix et sa prière, d’y puiser l’expression de ce qu’ils vivent dans leur existence croyante et de ce qu’ils célèbrent dans les mystères liturgiques de l’Église.

Histoire et évolution de la psalmodie

Les premières générations chrétiennes lisent les psaumes dans leurs assemblées. Les homélies et les hymnes de l’Église primitive s’en inspirent. Un apologiste comme Justin, dialoguant avec le Juif Tryphon, les cite abondamment. Des versets psalmiques viennent spontanément sur les lèvres des martyrs.

À partir du IIIe siècle, on commence de chanter certains psaumes, dans les agapes et les liturgies, avec alléluia comme refrain. Au siècle suivant, le chant des psaumes se diffuse et se généralise dans le monde chrétien. On les chante au cours des vigiles et entre les lectures de la messe. Les évêques expliquent longuement les psaumes dans leurs homélies au peuple. Le « Psautier », augmenté d’une quinzaine de cantiques bibliques, devient le livre privilégié de la prière liturgique ou privée tant des fidèles que des moines.

Durant le Moyen Age, le peuple chrétien est moins familier des psaumes. Mais la liturgie et la tradition monastique prolongent leur présence vivante. En Orient, autour des versets inspirés, se développent des tropaires qui en redisent et en actualisent le sens dans les synaxes. En Occident, les psaumes prennent la première place dans les chants de la Messe et dans les Heures de l’Office. On leur adjoint des antiennes, ou versets choisis chantés, qui sont comme des clés de lecture, spécialement aux fêtes. Dans les psautiers on trouve souvent, avant chaque psaume, un « titre » inspiré des Pères de l’Église, qui invite à entendre dans le psaume la voix du Christ ou celle de l’Église. Chaque psaume de l’Office est parfois suivi d’une prière (collecte psalmique) qui permet d’intégrer le psaume dans la piété personnelle.

Au cours du XVIe siècle, grâce à des traductions en vers et en strophes, les psaumes deviennent un chant populaire des chrétiens. Certaines Églises protestantes les conservent aujourd’hui encore comme la base de leur chant cultuel.

La réforme liturgique de l’Église catholique, avant et après le Concile de Vatican II, a suscité, dans toutes les langues vivantes, un renouveau de l’usage des psaumes par les fidèles. Ils sont lus dans de petits groupes de prière, psalmodiés dans les communautés, chantés dans les assemblées, étudiés dans des cercles bibliques, médités en privé. Toujours la foi au Dieu d’Abraham et en Jésus, Christ et Seigneur, reste la clé de leur interprétation. Pour nous comme pour Hilaire de Poitiers : « Quelle que soit la personne en laquelle l’Esprit de prophétie a parlé, tout ce qui est dit dans les psaumes vise la connaissance de l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ : de son incarnation, de sa passion et de son règne, et se réfère à la gloire ainsi qu’à la puissance de notre résurrection » (PL 9, 235).

Appropriation personnelle des psaumes

Comment puis-je faire miennes aujourd’hui des prières issues d’un temps et d’un milieu si éloignés de moi ? Comment puis-je appliquer à Jésus des textes écrits par des personnes venues avant lui dans des circonstances historiquement autres ? De la réponse à ces deux questions dépendent pour nous la possibilité de « prier les psaumes » et la légitimité de les prier chrétiennement.

Les Psaumes parlent — me parlent et parlent par moi — de manières diverses. Tantôt ils racontent ce qui est arrivé à un peuple auquel le Dieu unique s’est fait connaître : ses victoires et ses défaites, ses actes de foi ou d’infidélité et tout ce que son Dieu, « Le Seigneur » (YHWH), a fait par lui. Parfois le récit se rapporte à un membre de ce peuple, par exemple son roi, ou un fidèle anonyme. Tantôt les psaumes méditent sur la condition humaine, sur le sort du juste et du méchant, sur les interventions de Dieu. Ils disent alors la « sagesse » acquise par l’expérience du peuple de l’Alliance et la formulent en proverbes et sentences. Tantôt ils annoncent ce que Dieu fera pour son peuple, son règne à venir et le Jour du jugement. Tantôt ils invitent à la louange et à l’action de grâce. Tantôt enfin des hommes disent « je », quelquefois « nous », pour raconter leurs épreuves, leurs maladies, leurs persécutions, leurs péchés, leurs doutes, puis les délivrances reçues de Dieu et leurs actions de grâces. Souvent les psaumes mélangent les genres, passant librement de « ils » à « nous », de « lui » à « je », de « Il » à « Toi ».

Lorsque les psaumes relatent des événements significatifs de la vie d’Israël, il est aisé de les recevoir comme un témoignage des interventions de Dieu dans l’histoire du salut de l’humanité. Ces événements, comme l’Exode ou le retour d’exil, comme le choix d’Abraham ou de David, qui fondaient la foi d’Israël, fondent aussi pour nous la foi au seul Dieu Sauveur des hommes. Ils nous provoquent à l’action de grâce et à l’espérance. Lorsqu’ils formulent la Sagesse, ils nous indiquent le chemin du salut et celui de la perdition. Lorsqu’ils annoncent les réalités à venir, lorsqu’ils appellent à la conversion et à la justice, à la louange et à la joie, nous sommes directement pressés de croire au salut qui vient de Dieu seul, de nous reconnaître pécheurs devant lui, de le servir en pratiquant la justice envers lui et les hommes, de lui rendre grâce en lui offrant le sacrifice de notre louange.

Quand le psaume s’exprime en « je » ou en « nous », trois attitudes sont possibles. La première consiste à se mettre comme « dans la peau » de celui ou de ceux qui ont parlé : un malade qui se plaint à Dieu puis remercie pour sa guérison, un pécheur qui avoue sa faute et dit sa joie d’être pardonné, Jérusalem assiégée et prise par ses ennemis, le peuple revenant de l’exil, etc. Je nourris ainsi ma mémoire de l’histoire humaine — dont je fais partie — devant Dieu. La seconde consiste à entendre dans les phrases en « je » ou en « nous » la voix du Christ et de l’Église. Cette « christianisation » du psaume sera traitée plus loin. Une troisième manière consiste à prendre le texte à mon compte, en y lisant ma propre histoire.

Cette dernière attitude correspond à une lecture de type poétique. Je ne limite pas le texte aux significations qu’il a pu avoir dans un contexte passé (le plus souvent impossible à déterminer). Sans oublier son origine et sans négliger les lois de lecture que chaque texte porte en lui-même, je le laisse comme venir à moi et prendre sens pour moi, aujourd’hui, en fonction de ce qui est ma vie. Parfois, je reçois les mots dans leur acception ordinaire : « Écoute ma prière, Seigneur » — « Pardonne mes fautes ». Parfois, j’accueille la suggestion des images : « Dans cette nuit où je crie en ta présence » — « Sois ma lumière ». Nuit et lumière sont deux pôles permanents de mon existence qui sous d’innombrables formes, m’attirent ou me repoussent. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire au jeu des images que j’éprouve ici et maintenant la sensation physique dont elles sont nées. De même que l’on dit couramment dans un excès de travail : « Je suis submergé », on peut dire dans la détresse spirituelle : « Les eaux montent jusqu’à ma gorge. » Même la tournure, inhabituelle pour nous, de telles expressions réveille le jeu des images.

Ma gorge, mes os, mes mains, mes pieds, ma bouche, mes oreilles, mes yeux, mon cœur, mes reins, mon souffle, et encore l’eau, la terre, le ciel, le feu, le vent, le désert, le jour, la nuit, qui surgissent presque à chaque verset de la poésie religieuse des psaumes, ne sont jamais de pures mentions physiologiques ou physiques. Ils désignent une manière concrète et imagée de se situer par rapport à soi-même, aux autres, au monde ambiant, à Dieu. Le corps, situé dans le monde, est le premier lieu, le premier langage de la prière des psaumes. C’est là une des raisons qui fait de cette poésie religieuse un langage relativement universel. Tout homme, s’il veut bien prendre en compte ses images réalistes et ouvertes, peut s’y reconnaître lui-même. Mais ce langage ne nous touche que parce qu’il a été d’abord celui d’hommes réels, faits de chair et de sang, vivant dans un temps déterminé de l’histoire humaine, dans un lieu précis de la terre habitée, dans une société particulière avec ses coutumes et ses mœurs.

Car l’homme des psaumes appartient à une race et à une mémoire de sa race. Il a des ancêtres et des descendants. Il a autour de lui des amis et des ennemis, des proches et des inconnus, des pauvres et des riches, des puissants et des opprimés. Les uns adorent le Seigneur et d’autres, des dieux étrangers. Les uns sont fidèles et les autres infidèles ; les uns bons et les autres méchants. Si parfois il se reconnaît seul en face de Dieu, sa prière n’est jamais celle d’un isolé. Il prie toujours comme « en public », autant dans ses malheurs les plus intimes que dans ses actions de grâce en plein milieu de l’assemblée. C’est un homme dans le monde. Le système des rapports sociaux entre peuples voisins (Israël et les « nations païennes ») ou entre milieux différenciés (puissants et petits) a pu se modifier depuis lors. Mais nous connaissons toujours les mêmes relations d’allié-adversaire, oppresseur-opprimé, citoyen-étranger, croyant-incroyant, juste-menteur dont parlent les psaumes.

Cependant chacun ne peut pas s’approprier directement toutes les paroles en « je » des psaumes. Cela est évident quand il s’agit du sens premier de textes dits par un roi, un mourant, un persécuté, ou encore d’imprécations prononcées contre des personnes. Nous dirons comment la prière chrétienne a compris ces paroles. Observons déjà que, dès la tradition juive, beaucoup de textes en « je » étaient entendus non pas comme les paroles d’un individu isolé, mais comme la voix du peuple élu tout entier. Dans beaucoup de cas, en effet, des textes qui ne me concernent pas dans leur sens premier, prennent sens pour moi à travers ceux qui vivent des situations analogues. Ils me touchent dans mon corps social. En d’autres cas, comme lorsque sont nommés des lieux de la géographie biblique ou des réalités du passé, je puis en découvrir aisément le sens symbolique : Jérusalem comme centre de rassemblement ; Babylone comme terre d’exil; le Temple comme lieu de la présence de Dieu. Je puis alors désigner ainsi les espaces et les réalités-signes de ma propre existence.

Lecture chrétienne et sens spirituel

Si je peux prier les psaumes en laissant leurs mots et leurs images trouver en moi résonance et sens, si je peux enrichir et vérifier leurs significations historiques par les études bibliques, il reste que moi, qui les lis et les interprète, je suis venu après le Christ. Selon que j’appartiens à la religion juive, à l’Islam, à une religion non chrétienne, ou au christianisme, ma prière à partir des psaumes prendra des sens différents. Si je suis chrétien, ma prière sera celle d’un chrétien. C’est en ce sens que l’on peut dire que, dans l’Église, il y a nécessairement une prière chrétienne des psaumes.

La prière chrétienne des psaumes n’est pas une autre prière que celle des psaumes eux-mêmes. Le Dieu des psaumes est le Dieu de Jésus-Christ, et l’homme des psaumes appartient à la même humanité que Jésus et que nous. Mais la venue de Jésus-Christ qui « accomplit » les Écritures, révèle en elles un sens voulu de Dieu qui dépasse le sens voulu par leurs auteurs. La tradition de l’Église l’appelle sens « spirituel » en tant que lecture du mystère du Christ dans l’Esprit-Saint. Celui qui a nommé Dieu son Père et qui a renouvelé de l’intérieur la condition humaine, en voulant s’approprier tout ce qui fut écrit de lui dans les psaumes (Lc 24, 44), a en même temps fondé et converti leur sens. Les psaumes sont ainsi, dans leur ensemble, des textes prophétiques.

Le Christ est tout à la fois, pour un chrétien, le Dieu qui est prié dans les psaumes et l’homme qui prie les psaumes.

Depuis que Jésus a été manifesté Christ et Seigneur par sa résurrection et son exaltation à la droite du Père, il est aussi reconnu comme le Dieu qui crée, qui rassemble, qui règne, qui juge, qui libère, rachète et sauve. Chaque fois que des chrétiens rencontrent dans les psaumes le titre de « Seigneur » — Kyrios, nom grec substitué depuis la version des Septante au nom ineffable du Dieu d’Israël : YHWH — ils l’interprètent nécessairement à la lumière de Celui qui a reçu « le Nom au-dessus de tout nom » (Ph 2, 9). Le Seigneur des psaumes est toujours le Dieu unique. Mais tout ce que le Père fait pour nous, il le fait par son Fils, dans l’Esprit-Saint. C’est donc en toute vérité et plénitude de sens que nous chantons, du Christ ressuscité des paroles comme : « Le Seigneur règne ; il est notre Dieu et nous sommes son peuple ; il m’a sauvé ; il me mène par le bon chemin. » Désormais notre relation à Dieu passe par le Fils unique.

Cependant Jésus est aussi Fils de l’homme et frère des hommes. Il s’est fait semblable à nous en toutes choses, de la naissance à la mort. Il s’est même « fait péché » pour nous (2 Co 5, 21) sans avoir fait de péché. Mais il est ressuscité par la puissance de Dieu. Par lui, la relation de l’homme à Dieu est radicalement renouvelée. Tout ce qui, dans les psaumes, est dit de l’homme — par un homme — reçoit un sens nouveau à la lumière de Celui que nous croyons être la Parole faite chair, assumant en elle toute la nature humaine. Quand un pauvre appelle à l’aide, quand un innocent demande justice, quand un persécuté à mort crie qu’on l’épargne, quand il rend grâce après avoir été sauvé, la pleine vérité de chacune de ces paroles se tire de la vie, la mort et la résurrection de Jésus.

Les vieux textes bibliques seraient-ils déformés ou trahis par leur interprétation chrétienne ? Mais l’histoire charge légitimement de sens certaines formules du passé. Le touriste qui, passant à Bergame, voit sur le registre des baptêmes le nom d’Angelo Roncalli dira : c’est l’acte de baptême du pape Jean XXIII. Cela est vrai, même si le curé qui baptisa le petit Angelo, ni son parrain ni sa marraine ne le savaient. Bien plus, qui sait qu’Angelo Roncalli est devenu pape ne peut pas ne pas y lire cette vérité. Celui qui sait que Jésus, le Serviteur et le Fils de Dieu, « accomplit toute justice » ne peut pas ne pas l’entendre ni le prier dans les Psaumes, même s’il ne le fait pas toujours expressément. Une telle interprétation ne se fonde pas dans la subjectivité du lecteur mais dans l’histoire du salut donné par Dieu en Jésus-Christ.

Deux attitudes dans la prière chrétienne

La plénitude et la nouveauté de sens qui, grâce au Christ, se découvrent dans les psaumes, fondent deux attitudes — ou directions de la prière — que l’on décèle clairement dans l’emploi que les liturgies font des textes psalmiques.

La première attitude consiste à s’adresser au Christ, le Dieu et le Seigneur des Psaumes. C’est lui que je nomme Très-Haut, Puissant, Saint, Juge, Sauveur, Roi, Berger, Rocher. C’est à lui que je demande aide, grâce, pitié, pardon, justice, à lui que je rends grâce. C’est lui qui est pour moi la Justice, la Tendresse, la Paix et l’Amour de Dieu. Je le prierai ainsi soit en mon propre nom, si je puis m’approprier la formule, soit au nom de ceux qui actuellement, dans l’humanité, vivent la situation évoquée par le psaume.

La deuxième attitude est de considérer, comme dit saint Augustin résumant la pratique de l’Église, que le psalmiste est le Christ lui-même. C’est sa voix que j’entends dans la plainte du pauvre et dans la louange du fidèle. Cette voix ne m’est pas étrangère. Elle est celle du Christ qui a tout récapitulé en lui. Elle englobe les voix de tous les membres du Corps dont il est la tête : ses membres souffrants, luttant pour la justice, prolongeant sa passion ; ses membres justifiés et glorifiés par sa résurrection. Dans la voix du Christ « total », il y a la voix de toute l’Église croyante, dont je suis. Il y a aussi la voix de toute l’humanité qui attend encore sa délivrance.

Comme prière de l’Église en son Chef, les mots et les images des psaumes ont joué un rôle déterminant dans la formation du « corps verbal » qui sert aux chrétiens à exprimer leur foi. En lisant, dans des versets poétiques, les mystères du Christ (« Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; « Tu m’as relevé »; « Voici le jour que le Seigneur a fait » ; « Dieu monte au milieu des acclamations » ; « Siège à ma droite », etc.), l’Église a reçu le langage qui structure ses sacrements et les mystères de son Année liturgique. Chaque croyant y reconnaît et y nomme ce qu’il vit à travers les signes et sacrements de la Nouvelle Alliance (« Le Seigneur est mon berger ; il me mène vers les eaux et me fait revivre ; tu prépares la table pour moi ; tu répands le parfum sur ma tête ; j’habiterai la maison du Seigneur »). La pratique des psaumes est la première école de la prière chrétienne.

Les psaumes dits imprécatoires

Il semble pourtant qu’une partie des textes psalmiques résiste à leur christianisation. Il est spécialement difficile d’assumer dans une prière chrétienne les passages où le psalmiste réclame à Dieu vengeance contre ses ennemis et profère contre eux des imprécations et des malédictions. Ces passages peuvent apparaître directement contraires à l’Évangile et inacceptables pour un disciple du Christ.

Il convient à ce sujet de faire plusieurs réflexions. D’abord il est nécessaire de se rappeler que ni le monde ni nous-mêmes ne sommes pleinement « évangélisés ». Toute une partie de l’humanité et de nous-mêmes est encore à convertir au Dieu de Jésus-Christ. Il y a encore un homme de l’Ancien Testament qui vit et parle en moi et autour de moi. Au lieu de recevoir ces textes comme le contraire d’une prière chrétienne, je puis les assumer comme une prière — parfois même ma prière — encore imparfaite au regard d’une prière filiale entièrement dite dans l’Esprit de Jésus. Celui qui n’arrive pas à dire « Pardonne-nous comme nous pardonnons aussi » trouve du moins dans les psaumes les mots pour confier à Dieu le jugement des méchants.

Les passages en question nous rappellent en outre que le cœur de la prière biblique est l’expression d’une lutte et d’un combat permanent pour la justice de Dieu contre l’injustice du monde. Ce combat n’est pas dans les idées. Il engage des personnes et des puissances de ce monde. Toute la vie de Jésus fut une lutte contre le Prince de ce monde. Le choix baptismal est une lutte des fils de Lumière contre les puissances des ténèbres, du mal et du péché. Dans les psaumes, cette lutte se situe souvent entre le peuple élu et les nations païennes, entre le juste fidèle et les impies. Vouloir la défaite du mal, c’est vouloir qu’il n’y ait plus d’impies ni de pécheurs. Nous ne pouvons pas vouloir autre chose. C’est ce que Jésus a voulu lui-même. Ses malédictions sont au moins aussi fortes que celles des psaumes. Nous ne pouvons pas non plus nous retirer du combat. Jésus ne l’a pas fait, et il en est mort. Mais en entrant dans cette lutte et en la disant, nous ne prétendons jamais juger ni condamner des « personnes », ce qui revient à Dieu seul. Il s’agit encore moins de leur en vouloir. D’ailleurs les « ennemis » historiques des Psaumes n’existent plus. Mais il reste des armées en présence et nous sommes dans leurs rangs. La ligne de front passe d’abord au-dedans de nous-mêmes. Les imprécations et malédictions peuvent toujours tomber sur la part de moi-même qui résiste au Règne de Dieu. Elle passe de même au cœur de ceux qui m’entourent, dont je veux le bien et dont je demande que le mal soit extirpé. Elle passe aussi — et c’est là une interprétation traditionnelle — entre la puissance de l’Esprit de Dieu et de ses anges et les puissances de Satan et de ses démons. « Car nous n’avons plus à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, les autorités, les princes de ce monde de ténèbres, les esprits méchants des régions célestes » (Ep 6, 12).

Notons encore qu’il serait vain de vouloir expurger le psautier de ses versets imprécatoires car, à côté de quelques expressions isolables, les oppositions juste-impie, peuple-nations, justice-injustice constituent des structures de pensée et de langage qui traversent tous les psaumes. Mais il reste opportun de se demander s’il convient ou non, dans la prière publique, d’utiliser tel ou tel psaume, compte tenu des personnes rassemblées.

Voici la liste des omissions qu’il convient de respecter dans la prière publique : Ps 5, 11 ; Ps 20 (21), 9-13 ; Ps 27 (28), 4-5 ; Ps 30 (31), 18b-19 ; Ps 34 (35), 3a, 4-8, 20-21, 24-26 ; Ps 39 (40), 15-16 ; Ps 53 (54), 7 ; Ps 54 (55), 16 ; Ps 55 (56), 8 ; Ps 57 (58), entièrement ; Ps 58 (59), 6b-9, 12-16 ; Ps 62 (63), 10-12 ; Ps 68 (69), 23-29 ; Ps 71 (72), 20 ; Ps 78 (79), 6-7, 12 ; Ps 82 (83), entièrement ; Ps 108 (109), entièrement ; Ps 109 (110), 6 ; Ps 136 (137), 7-9 ; Ps 138 (139), 19-22 ; Ps 139 (140), 10-12 ; Ps 140 (141), 10 ; Ps 142 (143), 12.

Psalmodie et usage liturgique

La prière des psaumes est une action orale. La parole est une manducation. Les mots bibliques doivent naître d’un souffle profond, être façonnés par les muscles de la bouche, s’épanouir en sons de consonnes et de voyelles. Les psaumes sont des poèmes. Ils ont un mouvement, un rythme, des assonances, des mots répétés. Le parallélisme des membres du verset est tout à la fois une structure prosodique et une structure de pensée qui se renforcent l’une l’autre. La succession et le retour périodique des accents dans le vers est en même temps un effet de rythme et un effet de sens qui met en valeur les mots essentiels. La poésie biblique ne se lit pas des yeux ni ne se prononce banalement. Elle requiert un rythme et un ton approprié.

Dans la tradition de la prière publique de l’Église, les psaumes sont « psalmodiés » ou chantés. Dans la prière privée, ils sont récités à la façon d’un poème. Celui qui psalmodie se laisse « dire »par la parole inspirée qu’il prononce, par ses mots, leur rythme, leurs images et leur sens. Il devient lui-même « psaume pour Dieu ». Dans la Parole qui s’est faite chair, ma chair se fait Parole.

La psalmodie liturgique est un rite élaboré. Elle use du chant. Elle divise le psaume en versets ou en strophes. Elle y intègre souvent des refrains qui étendent la durée poétique et élargissent l’espace du sens pour la méditation. Elle l’encadre habituellement d’une antienne. L’antienne est un texte bref, traité mélodiquement, qui est extrait du psaume ou d’un autre livre de la Bible, ou bien a été écrit à cette fin. L’antienne fournit souvent une clé d’interprétation en référant le psaume à un aspect de la vie de foi ou à un mystère du Christ.

Dans la présente édition, sont mentionnés à la fin de chaque psaume, les principaux versets ou extraits de versets (désignés par des lettres) qui, d’après la tradition de l’Église et la liturgie romaine actuelle, sont utilisés comme antienne et fournissent des clés de lecture.

Les assemblées de chrétiens sentent souvent qu’un psaume introduit à la prière silencieuse et doit se prolonger dans la méditation. À cette fin, chaque psaume est suivi, dans ce Psautier, d’une prière qui, reprenant des mots et images du texte biblique, les recompose pour les actualiser dans notre vie à la lumière de l’Évangile.

N. B. — Les versets placés entre crochets dans ce livre correspondent aux versets omis dans les livres officiels romains de la liturgie des Heures.