Le « Notre Père » (Pater Noster)
Introduction du prêtre : Unis dans le même Esprit, comme nous l’avons appris du Sauveur et selon son commandement nous osons dire :
Notre Père, qui es aux cieux,
que ton nom soit sanctifié,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses,
comme nous pardonnons aussi
à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous laisse pas entrer en tentation,
mais délivre-nous du Mal.
Doxologie, par tous : Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles.
Amen.
Cette prière, qui nous vient de Jésus, rapportée par Saint Matthieu, chapitre 6, versets 9 à 13, et par Saint Luc chapitre 11, versets 2 à 4, est commune à tous les chrétiens : orthodoxes, catholiques et protestants.
EN LATIN
Langue universelle de l’Église
Introduction du prêtre : Præcéptis salutáribus móniti, et divína institutióne formáti, audémus dícere :
Pater noster, qui es in cælis :
sanctificétur nomen tuum ;
advéniat regnum tuum ;
fiat volúntas tua,
sicut in cælo, et in terra.
Panem nostrum cotidiánum da nobis hódie ;
et dimítte nobis débita nostra,
sicut et nos dimíttimus
debitóribus nostris ;
et ne nos indúcas in tentatiónem ;
sed líbera nos a malo.
Doxologie, par tous : Quia tuum est régnum, et potéstas, et glória in sǽcula sæculórum.
Amen.
Écouter le chant grégorien, chanté par votre serviteur, qu’il convient de connaître et de chanter en langue universelle, d’une seule voix, dans les une assemblée multilingue.
Au début du XXe siècle on priait Notre Père ainsi :
Notre Père, qui êtes aux cieux,
que votre nom soit sanctifié,
que votre règne arrive,
que votre volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.
Pardonnez-nous nos offenses,
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation,
mais délivrez-nous du mal.
Ainsi soit-il.
En 1966, le vouvoiement — marque traditionnelle de respect — a disparu du « Notre Père. » On peut remarquer qu’il subsiste néanmoins dans le « Je vous salue Marie. »
En peu de temps, la traduction française du Notre Père a connu trois visages : avant 1966 on priait « Ne nous laissez pas succomber à la tentation », puis jusqu'en 2017 « Ne nous soumets pas à la tentation, » et depuis 2017 « Ne nous laisse pas entrer en tentation. »
Cette dernière formule, pourtant officielle, me laisse perplexe. Sur le plan littéraire, elle sonne artificielle : en français courant, on « succombe » à la tentation, on « cède » à la tentation, mais on n’« entre » pas en tentation. L’expression est le fruit d’un calque du grec ou du latin (et ne nos inducas in tentationem), qui ne correspond pas à l’usage naturel de notre langue.
Une prière récitée par tous, en langue vernaculaire, devrait pourtant être claire, immédiate, intelligible. Or, ici, pour comprendre le sens exact de cette formule, il faut recourir à des explications savantes — alors que l’oraison est censée être un élan du cœur, simple et direct.
En définitive, cette traduction trop littérale peut éloigner le croyant de la prière au lieu de l’y introduire. Le risque est qu’au lieu de nourrir la confiance, elle devienne une source d’incompréhension.
« Seigneur, au secours ! Il n’y a plus de fidèle !
La loyauté a disparu chez les hommes. » (Psaume 11)
Mais voici les justifications de ce nouveau changement à la prière que nous a enseigné Jésus, rapportées par le Père Jacques Rideau :
Pourquoi changer la traduction du Notre Père ?
P. Jacques Rideau
Directeur du Service National de
la Pastorale Liturgique et Sacramentelle
La nouvelle traduction de la Bible présente une modification notable de la sixième demande du Notre Père : « Ne nous soumets pas à la tentation » devenant « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».
La décision de modifier la prière du Seigneur n’allait pas de soi : d’abord parce qu’elle est la prière la plus mémorisée par les fidèles, ensuite parce que la traduction en usage a fait l’objet d’un consensus œcuménique. Il fallait donc de sérieuses raisons pour opérer ce changement.
Fidélité au texte grec
Il faut d’abord dire que ce verset est très complexe à traduire. Les exégètes estiment que derrière l’expression grecque du texte de Mt 6, 13 et Lc 11, 4 se trouve une manière sémitique de dire les choses. Aussi, la formule en usage depuis 1966, « Ne nous soumets pas à la tentation », sans être excellente, n’est pas fautive d’un point de vue exégétique.
Mais il se trouve qu’elle est mal comprise des fidèles à qui il n’est pas demandé de connaître les arrière-fonds sémitiques pour prier en vérité la prière du Seigneur. Beaucoup comprennent que Dieu pourrait nous soumettre à la tentation, nous éprouver en nous sollicitant au mal. Le sens de la foi leur indique que ce ne peut pas être le sens de cette sixième demande. Ainsi dans la Lettre de Saint Jacques est-il clairement dit : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : “Ma tentation vient de Dieu”, Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne » (Jc 1, 13). D’où la demande réitérée d’une traduction qui, tout en respectant le sens du texte original, n’induise pas une fausse compréhension chez les fidèles.
Fidélité à l’esprit de l’Évangile
Cependant le problème n’est pas qu’une question de mots. La difficulté est d’exprimer et de comprendre (pour autant qu’on le puisse !) le mystère de Dieu dans sa relation aux hommes et au monde marqués par la présence et la force du mal. Le récit de la tentation de Jésus est éclairant. Il nous est rapporté par les trois Évangiles de Matthieu, Marc et Luc, et toujours selon la même séquence, aussitôt après le baptême de Jésus dans le Jourdain. Jésus vient d’être manifesté comme le Messie et le Fils que Dieu donne à son peuple, celui sur qui repose l’Esprit Saint. Et c’est poussé, conduit par l’Esprit, qu’il part au désert pour y être tenté par Satan. Le baptême inaugure son ministère, et l’Esprit qui demeure sur lui le conduit d’emblée au lieu du combat contre le mal. Ce combat, il le mène en délivrant les hommes de la maladie, des esprits mauvais et du péché qui les défigurent et les éloignent de Dieu et de son royaume. Cependant, au début de ce ministère, Jésus va livrer combat avec le tentateur lui-même. Combat redoutable, car c’est au cœur même de sa mission de Messie et de Sauveur des hommes, de sa mission de fils envoyé par le Père, que Satan va le tenter.
Une décision pastorale
On le voit, il ne s’agit pas ici simplement de l’épreuve à laquelle Dieu peut soumettre ses fidèles. Épreuve différente de celle vécue par le peuple d’Israël lors de la traversée du désert. Il est dit qu’au désert Dieu a éprouvé la foi et la fidélité de son peuple, en lui donnant chaque jour la manne à manger ; épreuve de la foi, car au jour le jour chacun devait s’en remettre en toute confiance à la parole de son Seigneur, se souvenant qu’il est celui qui l’a fait sortir d’Égypte pour lui donner la liberté et le conduire vers une terre où ruissellent le lait et le miel. La tentation de Jésus et la prière du Seigneur nous renvoient à une autre épreuve, celle du combat à mener contre celui qui veut détourner les hommes du chemin d’obéissance et d’amitié avec Dieu leur Père.
La nouvelle traduction, « Ne nous laisse pas entrer en tentation », écarte l’idée que Dieu lui-même pourrait nous soumettre à la tentation. Le verbe « entrer » reprend l’idée ou l’image du terme grec d’un mouvement, comme on va au combat, et c’est bien du combat spirituel dont il s’agit. Mais cette épreuve de la tentation est redoutable pour le fidèle. Si le Seigneur, lorsque l’heure fut venue de l’affrontement décisif avec le prince de ce monde, a lui-même prié au jardin de Gethsémani : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi » (Mt 26, 39), à plus forte raison le disciple qui n’est pas plus grand que le maître demande pour lui-même et pour ses frères en humanité : « Ne nous laisse pas entrer en tentation. »
Lorsque la nouvelle traduction du Missel romain entrera en vigueur, cette nouvelle formule du Notre Père deviendra la prière liturgique.
Le respect de l’œcuménisme
On l’a dit plus haut, ce changement rencontrait une objection d’ordre œcuménique puisqu’en 1966 la traduction du Notre Père avait fait l’objet d’un accord œcuménique, en particulier avec les Églises protestantes. Convenait-il que l’Église catholique modifie sa pratique unilatéralement ? Ne fallait-il pas se mettre à nouveau tous d’accord pour changer ensemble ? Le problème de l’unité de formulation de la prière lorsqu’il s’agit de la prière du Seigneur est réel. Cependant le paysage des confessions chrétiennes en France et dans les autres pays francophones a beaucoup évolué : diversification des Églises orientales, montée en nombre des Églises évangéliques, présence plus nombreuse des anglicans, avec autant de questions autour des autorités représentatives. Les Églises orthodoxes et protestantes (réformés et luthériens) ayant été consultées ont répondu que cette nouvelle traduction de la sixième demande ne poserait pas sur le fond de problème œcuménique. L’enjeu pastoral et doctrinal d’une mauvaise compréhension de la formulation en usage est tel que les évêques catholiques ont estimé que le temps était venu de modifier cette traduction.