Le signe de croix
Depuis le IIe siècle, le signe de la croix est la manière la plus simple de prier. Il s’agit de prononcer le nom des trois personnes divines en dessinant une croix sur soi-même : « Au nom du Père (sur le front), du Fils (au niveau de la ceinture) et du Saint-Esprit (de l’épaule gauche à l’épaule droite, ou inversement pour les Orientaux). Amen. »
L’histoire du signe de la croix
Les artistes chrétiens n’ont pas osé représenter Jésus crucifié avant le Ve siècle, car la croix était un gibet d’infamie. Mais le signe de la croix est attesté dès le IIe siècle, car il est un acte de foi : il affirme que notre salut vient de la passion et de la mort du Christ sur le bois de la croix, arbre de vie car le Christ est ressuscité.
À l’origine, il s’agit d’une petite croix tracée sur le front. Elle indique que le Christ a pris possession du catéchumène et elle renvoie essentiellement à la liturgie baptismale. « C’est avant tout la marque et le signe distinctif (character) des soldats du Christ†. »
†Saint Augustin, Sermon 302, 3.
Le large signe de croix apparaît au VIIIe siècle dans les Églises byzantines, dans le contexte, semble-t-il, de la controverse monophysite†. Le fidèle d’Orient se signait au nom de la Trinité avec deux doigts (l’index et le majeur), ce qui signifiait sa foi aux deux natures – humaine et divine – du Christ. Le grand signe de croix se généralise au IXe siècle. Les Orientaux utilisent alors trois doigts (pouce, index et majeur) cependant que l’annulaire et l’auriculaire restent repliés dans la paume de la main. Ils affirment ainsi leur foi en la Trinité et en la double nature du Christ. Le fidèle porte les trois doigts au front, à la poitrine, puis de l’épaule droite à l’épaule gauche.
†La controverse monophysite, dont le représentant emblématique était Eutychès, un moine de Constantinople du Ve siècle, est le conflit entre ceux qui soutenaient que le Christ n’a qu’une seule nature divine après l’Incarnation et l’Église officielle qui affirmait, depuis le concile de Chalcédoine (en 451), que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme en deux natures unies dans une seule personne.
Le large signe de croix se répand au XIe siècle en Occident. Le symbolisme des doigts se voit progressivement abandonné et on porte la main ouverte au front, à la poitrine, puis de l’épaule gauche à l’épaule droite. Cette différence s’enracine sans doute quand s’élargit le fossé entre l’Orient et l’Occident.
Signe de la Passion, marque du chrétien, geste de foi, le signe de la croix éloigne l’esprit du mal. Il est fréquemment utilisé dans la liturgie et dans la piété chrétienne.
Les paroles qui accompagnent le signe de croix ont varié beaucoup. Cela pouvait être : « Le signe du Christ », ou bien : « Au nom de Jésus », avant de devenir : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ». Au début de l’office, les prêtres et les moines se signent en chantant : « Dieu, viens à mon aide ». Certains religieux, tels les Dominicains, se signent les lèvres en disant : « Seigneur, ouvre mes lèvres ». Au moment de la proclamation de l’Évangile, le célébrant et les fidèles tracent un signe de croix sur leur front, leurs lèvres et leur cœur pour que la Parole de Dieu éclaire leur esprit, retentisse sur leurs lèvres et convertisse leur cœur. Par le signe de la croix, le chrétien proclame sa foi dans le Christ qui sauve et dans la Trinité au nom de laquelle il a été baptisé. Ce geste est le vêtement du chrétien. « Le signe de la croix, c’est la manière la plus simple de prier†. »
†Cardinal Jean-Marie Lustiger, Premiers pas dans la prière, Paris, Nouvelle Cité, 1995, p. 23.
Au moment de sortir et dans nos déplacements, au début et à la fin (de toutes nos activités), au moment de nous habiller et de nous chausser, au bain, à table, en allumant les lumières, quand nous nous couchons, quand nous nous asseyons, à chacune de nos activités, nous marquons le front avec le signe de la croix.
Tertullien, Sur la couronne 3, 4 (début du IIIe siècle).
Tertullien voit dans le signe de la croix un geste qui rythme la journée du chrétien.
Pourras-tu vraiment échapper aux regards, quand tu fais le signe de la croix sur ton lit ou sur ta personne, […] quand tu te lèves en pleine nuit pour prier ? Ne paraîtras-tu pas te livrer à quelque rite magique ?
Tertullien, À son épouse 5, 3 (début du IIIe siècle).
Le signe de la croix est tellement habituel que Tertullien y voit un argument pour dissuader les chrétiennes d’épouser un païen.
Si tu es tenté, signe-toi le front avec piété ; car c’est là le signe de la Passion, connu et éprouvé contre le diable, pourvu que tu le fasses avec foi, non pour être vu des hommes […]. En nous signant le front et les yeux avec la main, écartons celui qui tente de nous exterminer.
Hippolyte de Rome, La Tradition apostolique, 42 (IIIe siècle).
Le signe de la croix éloigne du chrétien l’esprit du mal.
Après la renonciation au diable, après l’attachement au Christ, comme vous êtes désormais de sa famille et que vous n’avez désormais plus rien de commun avec l’autre, le prêtre demande immédiatement que tu reçoives l’empreinte ; et sur ton front, il trace la croix. Et comme il est vraisemblable que cette bête sauvage en entendant ces paroles, devienne plus sauvage encore – car elle est effrontée – et qu’elle veuille s’attaquer à ta vie même, le prêtre, en te marquant au front de l’empreinte de la croix avec l’huile d’onction, tient en respect toute sa fureur.
Jean Chrysostome, Trois catéchèses baptismales, 3, 7 (IVe siècle).
Avant l’immersion dans l’eau, l’empreinte de la croix sur le front – suivie d’une seconde onction sur tout le corps –, permet au nouveau baptisé de lutter contre l’esprit du mal.
Un jour, le vénérable Père [Benoît] prenait sa réfection corporelle, et comme la soirée était déjà avancée, un de ses moines, fils d’un défenseur†, lui tenait la lampe devant la table […]. Il se disait dans ses pensées : « Qui est-ce que j’assiste, moi, pendant qu’il mange ? Je lui tiens la lampe, je lui sers d’esclave ! Quand je suis ce que je suis, moi, le servir ? » L’homme de Dieu, aussitôt, se tourna vers lui et se mit à le semoncer vertement : « Fais le signe de croix sur ton cœur, frère ! Qu’est-ce que tu dis là ? Fais le signe de croix sur ton cœur ! »
Grégoire le Grand, Dialogues, 2, 20 (vers 594).
†Le défenseur, appelé encore recteur, désigne à cette époque un administrateur des propriétés du patrimoine de Saint-Pierre, c’est-à-dire un personnage très important représentant directement le pape.
Le signe de croix sur la poitrine chasse les pensées mauvaises.
Le signe de croix par lequel on donne aussi la bénédiction unit le mystère de la sainte Trinité à celui de la Rédemption, puisque l’on prononce le nom des trois Personnes divines en dessinant une croix : « Au nom du Père (sur le front), du Fils (au niveau de la ceinture) et du Saint-Esprit (de l’épaule gauche à l’épaule droite, ou inversement pour les Orientaux). Amen. » Dans ce parcours symbolique se trouve résumée toute la vie, inspirée par un amour qui va jusqu’au bout, et qui par-delà nos souffrances et notre mort nous mène avec le Christ à la vie éternelle.
Dom Robert Le Gall, Les Symboles catholiques, Paris, Éd. Assouline, 1999, p. 24.
Vous faites le signe de la croix ? Faites-le bien. Pas de geste estropié, hâté, qui n’ait plus aucun sens. Non ! Un signe de croix, un vrai, lent, large, du front à la poitrine, d’une épaule à l’autre. Sentez-vous comme ce geste vous enveloppe ? Recueillez-vous ; rassemblez dans ce signe toutes vos pensées et tout votre cœur. Vous sentirez combien il vous saisit, vous sacre, vous sanctifie.
Pourquoi ? C’est le signe du Tout, le signe de la Rédemption. Sur la croix, Jésus sauva l’humanité entière ; par elle, il sanctifie tous les hommes jusqu’au plus profond de leur être.
Romano Guardini, Les Signes sacrés, Paris, Spes, 1938, p. 25.
Extrait de « Beauté des gestes du chrétien » par Paul Christophe aux Éditions du Cerf, sur « Le signe de la croix » p. 27.